Le droit de grève, érigé en liberté fondamentale par diverses conventions internationales, notamment la Convention n°87 de l’Organisation internationale du travail (OIT), constitue un instrument privilégié de défense des intérêts professionnels.
En Côte d’Ivoire, ce droit est consacré par la Constitution et par le Code du travail, y compris pour les fonctionnaires, bien que son exercice soit parfois entaché d’abus préjudiciables à l’intérêt général.
À travers le monde, les États s’efforcent d’articuler la reconnaissance de ce droit avec les impératifs de continuité du service public et de stabilité sociale.
Le Canada, modèle de démocratie apaisée et de respect des libertés collectives, propose une approche équilibrée, où le droit de grève, tout en étant pleinement garanti, est strictement encadré par des mécanismes juridiques et syndicaux rigoureux.
Dans cette perspective, l’analyse du système canadien offre des pistes fécondes pour une réforme pertinente de l’exercice du droit de grève en Côte d’Ivoire, en vue de concilier la protection des agents publics avec la sauvegarde de l’intérêt général.
La liberté et le droit ne devront pas être un oxymore, la problématique .
Comment concilier l’exercice du droit de grève dans la fonction publique ivoirienne avec l’impératif de continuité du service public, à la lumière de l’expérience canadienne en matière d’encadrement juridique, de responsabilité syndicale et de réquisition des agents essentiels ?
Un droit de grève reconnu mais strictement encadré, modèle canadien
Au Canada, le droit de grève est reconnu comme l’ultime expression du désaccord entre employeurs publics et salariés. Toutefois, son exercice est soumis à des conditions formelles destinées à prévenir l’anarchie et à privilégier la primauté du dialogue social.
Avant toute cessation collective du travail, la législation impose une procédure obligatoire de conciliation ou de médiation.
Ce préalable vise à favoriser l’émergence d’une solution négociée, en évitant toute précipitation vers des mouvements sociaux prématurés. À défaut d’accord, seule une déclaration de grève légale autorise l’interruption du travail.
Durant la grève, les fonctionnaires canadiens cessent de percevoir leur traitement salarial de l’État.
Toutefois, les syndicats responsables du mouvement sont tenus de verser aux grévistes des indemnités journalières, financées par des fonds constitués grâce aux cotisations de leurs membres.
Ce mécanisme responsabilise les organisations syndicales et les incite à user de la grève avec discernement, sous peine d’épuiser leurs ressources financières et leur crédit auprès des salariés.
Par ailleurs, le Canada réglemente de manière stricte le piquetage.
Il s’agit pour les grévistes d’être présents sur leur lieu de travail, où ils peuvent manifester, mais sans entraver l’accès ni recourir à l’intimidation. Tout manquement à ces règles expose les salariés à des sanctions disciplinaires, voire à un licenciement pour faute grave.
Enfin, la réquisition des travailleurs dans les secteurs vitaux (santé, éducation, sécurité) constitue un instrument juridique majeur.
En période de grève, le gouvernement peut imposer aux agents essentiels de continuer à travailler, sous peine de sanctions administratives ou judiciaires. Cette pratique vise à garantir la continuité des services publics indispensables à la vie de la Nation.
Une adaptation du modèle canadien en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, bien que le droit de grève soit juridiquement consacré, son exercice demeure souvent désordonné.
L’absence de mécanismes de conciliation systématique et l’inefficacité des sanctions encouragent des grèves intempestives, parfois motivées par des revendications sectorielles étroites, au détriment de l’intérêt général.
L’adaptation du modèle canadien supposerait, en premier lieu, l’institutionnalisation d’une procédure de conciliation préalable obligatoire.
Ainsi, toute annonce de grève dans la fonction publique devrait être précédée d’une médiation conduite par une autorité administrative impartiale, disposant d’un pouvoir de recommandation.
Ensuite, la création de caisses de solidarité syndicale destinées à indemniser les grévistes constituerait une innovation salutaire.
Cette mesure ferait peser sur les syndicats une responsabilité financière directe, réduisant ainsi le risque d’instrumentalisation politique des mouvements sociaux.
Par ailleurs, la réglementation du piquetage s’impose avec acuité.
Une loi spécifique devrait instituer la réquisition obligatoire des fonctionnaires appartenant aux secteurs stratégiques, assortie de garanties procédurales afin d’éviter tout arbitraire.
Ce dispositif, appliqué avec discernement, préserverait l’ordre public tout en respectant les droits fondamentaux des travailleurs.
Conclusion
Loin de nier la légitimité du droit de grève, l’étude du modèle canadien invite à en promouvoir un usage plus réfléchi, plus responsable et davantage respectueux des nécessités collectives.
En Côte d’Ivoire, une telle évolution apparaît aujourd’hui indispensable pour restaurer l’efficacité de l’administration publique et consolider l’État de droit.
En instaurant une conditionnalité stricte à l’exercice du droit de grève, par la conciliation préalable, l’indemnisation syndicale, la réglementation du piquetage et la réquisition des agents essentiels, serait possible de garantir un équilibre harmonieux entre la liberté syndicale et la continuité du service public, au bénéfice de l’ensemble de la Nation.
Kalilou Coulibaly, Doctorant EDBA, Ingénieur
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